Chapitre II. Histoire de la civilisation1 .Alors que dans les temps anciens Pao Hi 24 gouvernait le monde,il leva les yeux et contempla les images dans le ciel, il abaissa les yeux et contempla les phénomènes sur la terre. Il contempla les signes des oiseaux et des animaux et leur adaptation aux régions. Il procéda directement à partir de lui-même et indirectement à partir des choses. Il inventa, ainsi les huit trigrammes pour entrer en connexion avec les vertus des dieux lumineux et classer les conditions de tous les êtres. Le Pe Hou Toung décrit ainsi la condition primitive de la société humaine : "Dans les premiers temps, il n'y avait pas encore de classifications morales et sociales. Les hommes connaissaient seulement leur mère et non leur père. Quand ils avaient faim, ils recherchaient la nourriture et quand ils étaient rassasiés, ils jetaient le reste. Ils dévoraient leurs aliments avec la peau et les poils, buvaient le sang et se vêtaient de peaux et [367] de joncs. Puis Fo Hi vint : il leva les yeux et contempla les images dans le ciel, il abaissa les yeux et contempla les phénomènes sur la terre. Il unit l'homme et la femme, disposa les cinq états de transformation et fusa les lois de l'humanité. Il dessina les huit trigrammes pour gouverner l'univers." Le fondateur mythique de la civilisation est décrit de différentes manières. La signification du nom paraît convenir à un chasseur ou à l'inventeur de la cuisine. La question de savoir si non seulement les 8 trigrammes mais aussi les !64 hexagrammes remontent à lui est tranchée de diverses manières. Comme lui-même est une personnalité mythique, la discussion peut en rester là. Il paraît assuré que les !64 hexagrammes étaient déjà en usage au temps du roi Wen. 2 .Il fit des cordelettes nouées et les utilisa comme filets et comme nasses pour la chasse et la pêche.Il tira probablement cette invention de l'hexagramme CE QUI S'ATTACHE. Ce chapitre explique la manière dont toutes les réalisations de la civilisation sont apparues comme des illustrations des images archétypiques idéales. Cette image contient une vérité supérieure. Toute invention naît d'abord comme image dans l'esprit de l'inventeur avant de se manifester comme " instrument", "objet fini ". Puisque, suivant la théorie de l'école représentée par le Hi Tsi, les !64 hexagrammes offrent de façon mystérieuse des images parallèles à la nature, on peut tenter ici d'en déduire les inventions humaines qui ont conduit à la formation de la civilisation. Cela ne doit pourtant pas être interprété dans ce sens que les inventeurs auraient simplement pris les hexagrammes du Livre et réalisé les inventions d'après eux, mais que les inventions ont pris forme dans l'esprit de leurs auteurs, d'après les situations représentées dans les hexagrammes. Le filet se compose de mailles vides à l'intérieur et entourées de fils. L'hexagramme représente une réunion de telles mailles. En outre, le caractère possède la signification de " s'attacher", "rester pris à quelque chose ". Ainsi le Livre des Odes mentionne que l'oie sauvage ou le faisan est resté pris au filet (Li). 3 .Lorsque le clan de Pao Hi eut disparu, vint le clan du divin Laboureur 25.Il fendit un morceau de [368] bois pour en faire un soc et recourba un morceau de bois pour en faire un manche de charrue. Il enseigna au monde entier l'avantage qu'il y avait à ouvrir la terre à l'aide de la charrue. Il tira sans doute cette invention de l'hexagramme : L'AUGMENTATION. La charrue primitive se composait d'un manche recourbé sur le devant duquel se trouvait fixé un morceau de bois pointu pour ouvrir la terre. L'avantage de la charrue sur la houe consistait en ce que, de cette manière, on pouvait utiliser des animaux de trait et se décharger d'une partie du travail sur le boeuf. L'hexagramme Yi, l'augmentation, se compose des deux trigrammes ![]() ![]() ![]() ![]() Les trigrammes nucléaires N°26 ![]() ![]() ![]() De là naît l'idée de construire un instrument de bois pénétrant la terre, mû vers l'avant et fouillant le sol. 4 .Alors que le soleil était au midi, il organisa un marché.Il fit que les gens de la terre viennent et rassemblent les marchandises de la terre. Ils les échangèrent entre eux, puis s'en retournèrent et chaque chose trouva sa place. Il tira sans doute cette invention de l'hexagramme MORDRE AU TRAVERS. L'hexagramme Che Ho, mordre au travers,se compose du soleil (Li) en haut et de Tchen, le mouvement, en bas. ![]() tandis que le trigramme nucléaire supérieur, K'an, représente de l'eau qui s'écoule, et celui du bas, Ken, de petits sentiers. On a donc une expression de mouvement sous le soleil, d'affluence. Sans doute cela ne suffit-il pas à évoquer l'idée d'un marché. Toutefois, les mots cho hi écrits différemment signifient aussi les aliments et les marchandises ; on peut ainsi en déduire la notion de marché. Manifestement, cet hexagramme avait autrefois le sens secondaire de marché. Cf. également l'explication de l'hexagramme n° 21, mordre au travers. [369] 5 .Lorsque le clan du divin Laboureur eut disparu, vinrent les clans de l'Empereur Jaune, de Yao et de Chouen.Ils mirent de l'harmonie dans leurs transformations, si bien que les peuples ne se lassèrent pas. Ils furent divins dans les changements qu'ils opérèrent, si bien que les peuples furent satisfaits. Quand une transformation était arrivée à son terme, ils modifiaient. (Par la modification, ils parvinrent à la continuité.) Par la continuité, ils parvinrent à la durée. C'est pourquoi : " Ils furent bénis par le ciel. Fortune. Rien qui ne soit avantageux ". L'Empereur Jaune, Yao et Chouen laissèrent pendre les vêtements supérieurs et les vêtements inférieurs et l'univers fut en ordre. Ils tirèrent sans doute cela des hexagrammes : LE CRÉATEUR et le RÉCEPTIF. Dans ce paragraphe il faut distinguer deux strates. La plus ancienne paraît être la conclusion. L'introduction des vêtements s'y trouve décrite. Tchong Kang Tchong fait observer : "Le ciel est bleu sombre, la terre est jaune ; c'est pourquoi ils firent les vêtements supérieurs bleu-sombre et les vêtements inférieurs jaunes." Les vêtements qu'on laisse pendre furent plus tard interprétés comme signifiant que l'Empereur Jaune, Yao et Chouen siégeaient paisiblement et sans bouger, et que toutes choses s'ordonnaient d'elles-mêmes grâce à leur inaction. On a ensuite ajouté à cela, à partir de matériaux déjà connus, une description de leur activité civilisatrice et de la bénédiction qui en résulte. La phrase mise entre parenthèses semble être, à son tour, une addition ultérieure. Le sens de l'activité de ces trois souverains fut d'avoir constamment réalisé des réformes au moment opportun. 6 .Ils creusèrent des troncs d'arbre pour en faire des bateaux et durcirent le bois au feu pour en faire des rames.L'utilité des bateaux et des rames fut de permettre les communications. (Ils atteignaient des endroits éloignés pour être utiles à l'univers.) Ils tirèrent sans doute cette invention de l'hexagramme : LA DISPERSION. [370] La phrase entre parenthèses a été contestée par Tchou Hi. L'hexagramme Houan, la dispersion se compose du trigramme Souen, le bois, sur K'an, l'eau ; c'est pourquoi il est dit dans le jugement : " Il est favorable de traverser les grandes eaux ", et dans le Commentaire sur la décision : " Se fier au bois crée du mérite ". On représente ici le bateau comme moyen de communication sur les fleuves et comme moyen de voyager au loin. Le bois sur l'eau : tel est le sens des trigrammes primitifs. Les trigrammes nucléaires ![]() ![]() 7 .Ils domestiquèrent le boeuf et attelèrent le cheval.De lourdes charges purent être transportées et des régions distantes atteintes, pour le profit de l'univers. Ils tirèrent sans doute cette invention de l'hexagramme : LA SUITE. L'hexagramme Souei, la suite se compose de Touei, la vivacité, devant, et de Tchen, le mouvement, derrière, image de la manière dont le boeuf et le cheval vont devant et dont le char se meut derrière. Les boeufs étaient utilisés pour les lourds chariots, les chevaux pour les voitures légères et les chars de guerre. L'ancienne Chine ne connaissait pas l'utilisation des chevaux comme montures. 8 .Ils introduisirent les doubles portes et les veilleurs de nuit avec des crécelles pour s'occuper des voleurs.Ils tirèrent sans doute cette invention de l'hexagramme : L'ENTHOUSIASME. L'hexagramme Yu, l'enthousiasme, se compose du trigramme Tchen, le mouvement, en haut, et du trigramme K'ouen, la terre, en bas. Les trigrammes nucléaires sont K'an, le dangereux et Ken, la montagne. ![]() ![]() ![]() Au-delà des portes, le mouvement, le bois (Tchen) que l'on tient à la main (Ken) sert de préparatif contre lui (Yu signifie aussi préparatif). 9 .Ils fendirent un morceau de bois et en firent un pilon.Ils creusèrent la terre pour faire un mortier. [371]. L'usage du pilon et du mortier fut profitable à tous les hommes. Ils tirèrent sans doute cette invention de l'hexagramme : LA PRÉPONDÉRANCE DU PETIT. L'hexagramme Siao Kouo, " la prépondérance du petit" se compose de Tchen, "le bois, le mouvement ", en haut, et de Ken, " l'immobilisation, la pierre ", en bas. Kouo signifie également la transition. Le mortier était la forme primitive du moulin et signifie la transition de la manducation des grains entiers à la cuisson du pain. 10 .Ils courbèrent un morceau de bois et en firent un arc.Ils durcirent des morceaux de bois au feu pour en faire des flèches. L'utilité de l'arc et des flèches consiste à tenir l'univers dans la crainte. Ils tirèrent sans doute cette invention du signe : L'OPPOSITION. L'hexagramme K'ouei, l'opposition comprend en haut Li, " ce qui s'attache", et en bas Touei, "le joyeux ". Les trigrammes nucléaires sont K'an, " le danger ", et, de nouveau, Li. L'hexagramme dans son ensemble indique la lutte. ![]() ![]() Le danger est encerclé par les armes, si bien que l'on n'éprouve pas de crainte. 11 .Dans les premiers temps, les hommes habitaient dans des cavernes et vivaient dans les bois.Les saints hommes des époques ultérieures transformèrent ces habitations en édifices : en haut, il y eut une poutre faîtière et, s'inclinant à partir d'elle, un toit pour protéger du vent et de la pluie. Ils tirèrent sans doute cette invention de l'hexagramme : LA PUISSANCE DU GRAND. L'hexagramme Ta Tchouang, La puissance du grand, se compose, en haut, de Tchen, " le tonnerre" ; le trigramme nucléaire supérieur, Touei, "le lac ", est au haut du ciel qui, est [372] le trigramme nucléaire inférieur, K'ien. Le trigramme inférieur est K'ien, " le ciel, l'espace aérien ". L'ensemble désigne donc un ciel, un espace fort et protégé, sous le tonnerre et la pluie. Le trigramme ![]() Les deux traits malléables supérieurs sont conçus comme étant la pente du toit. 12 .Dans les premiers temps, on ensevelissait les morts en les recouvrant de broussailles et en les déposant en plein air, sans tertre funéraire ni bosquet d'arbres.Le temps des lamentations n'avait pas de durée déterminée. Les saints hommes des époques ultérieures remplacèrent cet usage par des cercueils et des sarcophages. Ils empruntèrent sans doute cette invention à l'hexagramme : LA PRÉPONDÉRANCE DU GRAND. L'hexagramme Ta Kouo, La prépondérance du grand, comprend en haut le trigramme Touei, " le lac ", et en bas, Souen, " le bois, la pénétration ". Comme trigramme nucléaire on a deux fois au centre K'ien, le ciel. L'hexagramme doit être pris comme un tout ; les deux traits yin en haut et en bas signifient la terre à l'intérieur de laquelle est contenu le cercueil doublé, représenté par le ciel. Du fait que les défunts pénètrent (Souen) de cette manière dans leur repos, ils sont rendus joyeux (Touei). C'est à cela que se rattache le culte des ancêtres. 13 .Dans les premiers temps, on nouait des cordelettes pour gouverner.Les saints hommes des époques ultérieures substituèrent à cet usage des documents écrits pour régir les différents fonctionnaires et surveiller les sujets. Ils tirèrent sans doute cette invention de l'hexagramme : LA PERCÉE. L'hexagranvne Kouai, La percée, comprend en haut Touei, " les paroles ", et en bas, K'ien, " fort " ; il signifie l'affermissement des paroles. L'entaille supérieure représente à la fois la forme des plus anciens documents qui, gravés dans le bois, se composaient de deux parties s'adaptant l'une à [373] l'autre. Les anciens écrits étaient généralement gravés sur des tablettes de bambou polies. L'aspect de l'écrit qui est ici mis en relief est son importance pour l'organisation d'une vaste communauté. NOTE. L'esquisse de l'histoire de la civilisation contenue dans ce Chapitre concorde étrangement dans ses traits essentiels avec nos propres thèses. La pensée fondamentale qu'à la base de toutes les institutions se trouve un développement d'idées-mères déterminées est sans aucun doute également juste. Il n'est pas toujours aisé de reconnaître ces idées dans les systèmes représentés par les hexagrammes cités. Il n'est pas impossible que ceux-ci aient renfermé certaines connexions aujourd'hui disparues. Bien des indices montrent que les hexagrammes avaient à l'époque antérieure à la dynastie des Tchéou une autre signification que celle qui nous a été transmise. Il est possible que ce chapitre nous offre des aperçus de ces acceptions primitives. La comparaison des images avec les jugements permet de constater que des changements de sens ont encore eu lieu par la suite. |